Créer un film, c'est mettre en forme la vision d'un.e réalisateur.rice. Et au service de cette vision, c'est toute une équipe de technicien.nes et d'artistes. Aujourd'hui, le GREC choisit de donner la parole aux monteuses et monteurs, en les laissant témoigner de leur travail sur quatre films :
Basses de Félix Imbert, montage : Marylou Vergez
Midnight Kids de Maxence Vassilyevitch, montage : Jeanne Sarfati
On Duty de Yoona Degrémont, montage : Jean Costa
Beach Cat de Emmanuel Sala, montage : Céline Perreard
Basses de Félix Imbert - 2018
- Marylou Vergez, monteuse:
"La démarche pour Félix et moi pendant le montage de
Basses, c’était de faire naître puis grandir une chose intérieure, le doute, dans une narration simple et concrète, le temps d'une soirée. L'aventure au centre, chercher la fête, devait nous permettre d'hésiter le plus souvent possible entre l'imagination inquiète et l'intuition. Il nous fallait insérer dans une amitié dévouée la perception de signaux étranges pour que le personnage principal semble comprendre une situation qu'en même temps il refuse, et basculer doucement du trouble à la lucidité. A notre disposition ; souvenir/archive fantastique/fantasmé, mouches passantes et autre petit cadavre de renard dans les herbes, tout devait résider dans un "autour" inquiétant, pour amener un pressentiment vraisemblable mais incertain. Dans ces espaces, la provenance des sons, leur existence même, nous servait constamment de curseur.
Notre processus était essentiellement là. Il aura surtout fallu qu'il y ait entre nous un lieu de confiance et d'amitié suffisamment doux et attentif pour qu'on puisse faire exister les plus petits indices dans une grande importance pour nous."
Midnight Kids de Maxence Vassilyevitch - 2019
- Jeanne Sarfati, monteuse :
"En 2019, Maxence et moi avions déjà monté deux fictions ensemble. À ces occasions nous avions pu explorer des manières de travailler et
Midnight Kids a été la première fois où nous nous retrouvions autour d’un documentaire. Ces trois films ont en commun d’être des huis-clos.
Midnight Kids se déroule en extérieur mais l’évolution des personnages est bel et bien empêchée, entre les routes barrées et la mer de glace, dans une journée qui ne finit jamais.
Maxence et Anaïs Ruales, la cheffe-opératrice, sont revenus de Barrow après 20 jours de tournage intensif avec une dizaine de personnages qu’ils avaient rencontrés et filmés. Le film pouvait être un long-métrage. Une structure avait déjà été écrite où le statut de fil rouge est attribué au personnage de Raymond. Avec lui, nous traverserions la ville et entrerions dans les espaces des autres. En amont du montage, Maxence envisageait aussi que la scène de fin du film se ferait sur le bateau immobilisé dans la glace. Nous voulions faire le portrait de cette jeunesse qui se débat entre l’hyper-capitalisme des États-Unis et les traditions perdues, liées à ce territoire et cette communauté. Dans les rushes, nous découvrions des jeunes gens qui errent dans le jour perpétuel de l’été austral, s’épuisant le cœur à jouer au milieu d’une nature souillée par les détritus de la société de consommation. Le travail s’est précisé lorsque nous avons décidé que Raymond serait le personnage principal du film, que seule sa voix nous accompagnerait d’un espace à l’autre, d’une figure à l’autre.
Au fil des itérations, le montage a fait disparaître plusieurs personnages. Mais leurs présences hantent toujours le film, en filigrane, glissées entre les strates successives. Puis nous avons décidé que la parole de Raymond resterait hors-champ : nous nous laissions porter par la douceur particulière de son flow, nous l’avons suspendue sur le film comme une musique.
Le rythme du film s’est modelé sur cette voix, sur ces images des rues de Barrow traversées en quad et sur la musique des Penelopes.
Avec des Post-it, nous avons pensé et repensé la structure pour ne jamais précipiter la cadence, ne jamais la laisser s’étioler. Le temps de ce film a ceci de particulier qu’il s’y écoule sans l’alternance familière du jour et de la nuit, il est élastique et se dissout d’une séquence dans l’autre."
On Duty de Yoona Degrémont - 2022
- Jean Costa, monteur :
"Yoona avait des idées très précises pour le montage de son film, tout en restant ouverte à de nouvelles propositions et à l'exploration de nouvelles idées pendant le processus de montage. Notre plus grand défi était de recréer une atmosphère funéraire dans un espace qui n'était pas initialement conçu à cet effet. Nous avons particulièrement travaillé sur le point de vue du personnage principal, en mettant en lumière le regard du gardien de funérarium pour comprendre progressivement les subtilités de la cérémonie et les spécificités culturelles qui y sont associées. L'attention portée aux gestes par ce gardien nous a permis de saisir peu à peu le respect et la solennité qui imprègnent ce type de célébration.
Lorsque Yoona m'a proposé de monter
On Duty, j'ai été intrigué par le défi de représenter la tension entre l'immobilité et le désir de mouvement du personnage principal. Nous avons également cherché à mettre en évidence cette dualité entre le désir de briser la monotonie de la garde d'une cérémonie funéraire et le respect d'une culture, d'un corps vulnérable et d'une famille. Dans la scène de lutte entre les personnages principaux, nous avons cherché à souligner cette tension en contrastant les mouvements des membres inférieurs, statiques et défensifs, avec ceux des bras engagés dans le combat. Nous avons également pris la décision de maintenir une fin de combat plutôt tragique et solitaire, où le gardien se retrouve seul à terre, malgré les rushes montrant d'autres personnes dans le bâtiment de la cérémonie, qui auraient pu venir à son secours."
Beach Cat de Emmanuel Sala - 2016
- Céline Perréard, monteuse :
"Avec Emmanuel Sala, le réalisateur, on a exploré et travaillé la narration du film au fur et à mesure des semaines de montage, en inversant des séquences de place, en scindant plusieurs séquences en deux, dans le but d'approfondir le caractère des personnages et de donner plus de couches de lecture au film. Cette version finale est aussi due aux précieux conseils de la monteuse Suzana Pedro lors de notre séjour à l'IUT de Corte.
Les scènes documentaires (le match de début et les entraînements de roller derby) permettent d'ancrer les personnages dans un univers bien marqué et apportent une touche réaliste au film.
Emmanuel a fait un grand travail de recherches musicales pour donner une cohérence au monde du roller derby et aux personnages du film qui gravitent autour.
Le heureux hasard a fait que l'une des chansons qu'il a dénichées
Beach Cat a donné le titre au film."